Un soir !
Elle fait le ménage. Elle
sillonne les couloirs et les bureaux. Après le travail, elle se met au travail.
Des balais brousses, des seaux d'eau et produits chimiques nettoyant et
désinfectant sont son quotidien de labeur. Elle bosse ainsi depuis des années,
toujours en silence. Personne ne lui dit mot. Elle fait partie du décor, et
semble tout aussi transparente, pour les universitaires de ces lieux…
Ce soir là aussi, elle est venue au travail et s'y est mise
comme d'accoutumée. Elle travaillait comme si elle ne pouvait que faire ça ;
comme si elle ne devait faire que cela. Ce soir-là pourtant, elle aurait dû
s'en priver. Ce soir-là elle aurait certainement voulu être ailleurs.
Ce soir là, alors qu'à mon hauteur elle s'apprêtait, à pas
lents, à me dépasser, je me suis arrêté. Bonsoir lui dis-je. D'une voix cassée
et peut-être surprise qu'on lui adressât la parole, elle me dit bonsoir. Comment
allez vous lui demandai-je ? C'est alors que d'un flot, elle se mit à pleurer. D'attention
à compassion qu'appris-je qui me toucha à ce point. Ce matin là, elle avait
appris le décès tragique de son frère vivant au Portugal. Combien de fois avait
elle voulu partager cette douleur. Personne ne lui adressant la parole, elle
implosait et se consumait au-dedans. Je
lui ai fait parler de son frangin. C'était un brave, un battant. Elle aimait
son frère. Elle en souffrait. Je partageai sa peine. Elle en sembla soulagée…
M'éloignant d'elle, un célèbre air gospel des esclaves Noirs
d'Amérique bourdonnait dans mes oreilles. Je cru entendre la voix inimitable de
Louis Armstrong. Je réalisai alors que j'avais pris place dans ma voiture et que
sur ma station préférée TSF Jazz coulait ce négro spiritual "sometimes I
feel like a motherless child" de Louis Armstrong. Je compris alors que
cette séquence m'avait bouleversé. Je pensais à cette brave dame qui s'acharnait
tant à donner du lustre à notre mobilier le cœur en berne. Je pensais à ces
universitaires qui le lendemain, ignoreraient qu'elle était imbibée de larmes…
La serpillère !
2 commentaires:
J adore j adore j adore !!!!
Je suis emue...Merci de toujours sentir ce qu'on ne te dit pas !
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